L’actualité à Yoff ces derniers jours est émaillée des faits et gestes troublants par certains responsables des institutions coutumières de Yoff, allant jusqu’à proférer des insultes dans l’enceinte de la Grande Mosquée du Village. Heureusement, ce fait dégradant n’a pas échappé à l’attention de l’Imam chargé du «bayanne » qui a vigoureusement dénoncé l’acte et rappelé tous les concernés à l’ordre.
Ces comportements déplorables qui viennent s’ajouter à ceux liés à la spéculation foncière évoqués dernièrement, jettent une fois de plus, un voile assombrissant sur la viabilité à long terme de la stabilité et de l’effectivité de la gouvernance traditionnelle locale des « Républiques Léboues » dont s’émerveillaient les Français. Ce système de gouvernance communément appelé « coutume », reste encore plus ou moins vivace dans certains villages traditionnels dont Yoff où la coutume serait vieille de plus de six siècles.
L’occasion est saisie ici pour revisiter l’histoire de cette coutume et la place déterminante dans le fonctionnement de ses institutions que lui avaient reconnues les autorités coutumières quelques années après sa naissance dans les années 1980. Dans cette lecture, nous allons surtout explorer la cohabitation harmonieuse entre la coutume et l’Apecsy pour laquelle certains jeunes nouveaux responsables d’instances coutumières manifestent une sorte de malaise à reconnaître.
Dans ce contexte, on cherchera à retracer le long compagnonnage de l’Apecsy et des institutions coutumières pour mieux illustrer l’interdépendance structurelle et fonctionnelle établie depuis les premières années de la vie de l’Apecsy. Mais tout d’abord quelles sont ces institutions coutumières et comment fonctionnent-elles ?
Les institutions de la gouvernance traditionnelle de Yoff (coutume)
Le système de gouvernance traditionnelle est essentiellement de type populaire et gérontocratique, reposant fondamentalement sur le critère de l’âge et le principe que la sagesse s’acquiert et s’accroît avec l’âge. Il repose sur un attelage institutionnel complexe bâti sur deux piliers :
a) Pilier 1 : les assemblées populaires coutumières qui sont essentiellement des organes délibératifs et gestionnaires des affaires quotidiennes du village (de la ville ?). Elles se répartissent en trois (3) chambres :
1) la chambre basse
Premier niveau constitué par les Frey Yoff regroupant en général deux à trois classes d’âge, les plus jeunes parmi les personnes du « troisième âge » dans tous les quartiers du village. Ils jouent un rôle équivalent à celui des officiers de police judiciaire et gardiens de la paix modernes. Ils interviennent, entre autres, comme médiateurs sociaux avec pouvoirs d’interposition et de juges de paix communautaires en cas de conflit interpersonnel et familial, y compris l’administration d’amendes pécuniaires. Après une période d’exercice de 5 à 7 ans, ils se hissent automatiquement dans la chambre moyenne appelée «Diambours» ou sages, laissant la place à leurs cadets immédiats.
2) La chambre moyenne : les «diambours»
Anciens Frey ayant accumulé une riche et solide expérience de gestion des affaires du village durant leurs années d’exercice, ils ont pour fonctions principales d’appuyer leurs frères cadets dans la gestion et d’exercer un certain contrôle sur le fonctionnement des organes exécutifs décrits ci-dessous. Lorsqu’une nouvelle classe d’âge accède à la chambre basse des Frey, les anciens Diambours sont de facto admis dans la Haute chambre des « Maagui » Yoff ou les vieux sages.
3) La Chambre Haute des « Maagui Yoff» ou les vieux sages
Fonctionnant comme une sorte de Sénat, l’accès à cette chambre ouvre la porte au statut prestigieux et honorifique de « Magui Yoff », statut que l’on garde pour le restant de sa vie. C’est ainsi que se trouvent en son sein tous les anciens qui ont fait leur temps dans les chambres inferieures, bien que le leadership est souvent exercé par la classe la plus jeune, permettant aux plus vieux d’être un peu en retrait. Leur principale fonction est de donner le dernier mot sur toutes les affaires non résolues par les classes inferieures.
Samedi 15 août 2015 : alternance la plus récente dans les assemblées coutumières
La dernière alternance dans les assemblées coutumières de Yoff s’est produite il y’a exactement 10 mois hier jeudi. Ce rite, qui se perpétue depuis, semble-t-il 1606, est un des fondements de la participation libre et démocratique de tous les Yoffois (hommes et femmes) dans la gestion du pouvoir coutumier dans le village. L’accès à cette sphère de leadership gestionnaire est inclusif de tous les habitants qui remplissent le seul critère de l’âge requis.
Ce jour-là, la Classe 1947-1951 céda la place à celle de 1952-1956 dans la gestion directe, « policière » des affaires du village, relevant des institutions coutumières. Pendant que cette dernière s’installait dans la chambre basse des Frey, la première portait les habits de Diamburi Yoff en entrant dans la chambre moyenne où elle remplaça la génération 1941-1946, qui accéda ainsi dans la chambre haute des « Magui Yoff ».
b) Pilier 2 : La branche exécutive : les «borom ndombu tanka»
Ce collège regroupe ceux qui sont appelés « borom ndombu tanka » à savoir « Jaraaf », « Ndey Ji Rew » et « Saltigué » qui sont en principe des fonctions électives d’individus sur base des critères bien précis dont l’appartenance aux lignées maternelles concernées, à la demande du village (les Diambours), et selon ses besoins du leadership du moment.
Président de l’Apecsy
Docteur en Nutrition (Yoff-Sénégal)