AES/CEDEAO : L’espoir est-il encore permis ? Dr Bakary Sambe parle des inconvénients d’une dislocation et prévient…

Dr Bakary Sambe s’est entretenu avec le quotidien national « Le Soleil ». Le Directeur régional de Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies (Bamako – Dakar – Niamey) est largement revenu sur les relations tendues entre la Cedeao et l’Alliance des États du Sahel (AES). Particulièrement dans un contexte marqué par le Choix du Président Sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, comme médiateur.
AES, les origines…

Dr Bakary Sambe a rappelé, qu’à l’origine, « cette organisation a été portée sur les fonts baptismaux dans un pur instinct de survie face aux menaces de la CEDEAO à l’époque de rétablir l’ordre constitutionnel suite à un coup d’Etat au Niger. Cette Alliance qui était à l’origine militaire à travers la Charte du Liptako-Gourma va, à coup sûr, continuer à saper les fondements de l’architecture sécuritaire de la CEDEAO, mais également ceux du cadre de l’intégration économique, construit, dans le long terme, sur la base d’une vision co-construite par toute une sous-région en plusieurs générations. Au début, la dynamique d’alliance enclenchée par la triple junte (Burkina Faso, Mali, Niger), n’était pas bâtie sur une vision plus réfléchie, mais, surtout, à partir d’une réaction de survie dictée par l’urgence et surtout la volonté de perdurer au pouvoir (report des élections au Mali et au Burkina et absence d’horizon et d’agenda pour l’instant au Niger« .

Il poursuit : « Beaucoup d’analystes pensent que cette Alliance est devenue, au fil du temps, plus perturbatrice de l’existant que constructrice rationnelle, d’un autre ordre qui pourrait déboucher sur une sécurisation durable des différents et de la région malgré la montée en puissance de l’armée malienne qui avait permis de libérer Kidal et les progrès annoncé au Burkina Faso qui, au moment du dernier coup d’État n’arrivait pas à contrôler plus de 40% de son territoire« .

Vers la remise en cause de l’Architecture régionale de sécurité…

La tendance fragmentaire qui se dessine risque, selon l’expert, de mener vers la remise en cause de l’Architecture régionale de sécurité. « Si elle évoluait vers la remise en cause du CFA, cela pourrait défaire l’UEMOA, organisme de l’intégration monétaire et économique des pays francophones, mis en place avec l’accompagnement, non sans intérêt, de la France. Il faut garder à l’esprit que la présence même symbolique de ce dernier pays reste le chiffon rouge souvent agité pour nourrir la narrative de l’Alliance des États du Sahel. Toutefois, même si beaucoup d’observateurs critiquent, à tort plus qu’à raison, l’UEMOA comme inféodée à la France, elle n’en constitue pas moins le modèle d’intégration le plus accompli du continent : marché et monnaie uniques, cadre juridique des affaires harmonisé, organe juridictionnel commun, libre circulation des biens et des personnes, langue commune, parlement communautaire; création en perspective d’une monnaie unique de la CEDEAO : l’ECO, malgré les couacs et les difficultés que l’on sait sur l’opérationnalisation« , a analysé Dr Bakary Sambe.

En conséquence, renchérit-il, « tout processus de dislocation de ce bloc sera synonyme de régression du complexe processus d’unification monétaire de la CEDEAO. Or, avec la dynamique enclenchée, avec l’introduction d’une dimension économique, dans une alliance défensive, qui semble être révélatrice d’une initiative élaborée dans l’urgence, pourrait davantage cristalliser la scission au sein de l’organisation. Si une telle Alliance devrait se poursuivre et se consolider comme elle a voulu le montrer à Niamey, elle risque de servir de pôle d’attraction pour d’autres régimes soucieux de passer outre les contraignantes fourches caudines, démocratiques, érigées par la CEDEAO. C’est pour cela, le dialogue, bien que pour l’heure difficile est nécessaire. La pire attitude serait de couper le fil du dialogue. La CEDEAO devra apprendre des erreurs du passé lors de la gestion des coups d’État intervenus dans ces pays évitant à tout prix de perdre la bataille cruciale de l’opinion« .

Le Président Bassirou Diomaye Faye comme médiateur…

« Les pays fondateurs de l’AES évoquent tous une situation irréversible et de non- retour. Mais la diplomatie commence souvent son œuvre lorsque tout semble bloqué pour ouvrir des brèches. Le président Bassirou Diomaye Faye, lors de sa symbolique visite à Bamako avait emprunté la belle métaphore des ‘fenêtres’ qui peuvent toujours s’ouvrir même si certains semblent fermer la ‘porte du dialogue’. Et comme le rappelait le Président sénégalais, il est indispensable de maintenir le fil si ‘ténu soit-il du dialogue’ avec les pays frères que sont le Mali avec lequel la culture, l’histoire et la géographie nous lient mais aussi le Burkina Faso et le Niger, pays-pivot dans le Sahel central« , a rappelé le Directeur régional de Timbuktu Institute.

Pour lui, « le fait que la CEDEAO confie au Président Bassirou Diomaye Faye cette mission en collaboration avec le Togo est assez significatif : cela part d’une légitimité du Sénégal et de sa capacité d’influence dans ce contexte si difficile, mais aussi du statut de son président dans la perception de la jeunesse africaine au sein de laquelle il bénéficie d’un bonus générationnel, non pas seulement en termes d’âge mais surtout en ce qu’il peut incarner le changement de paradigme nécessaire qui est justement attendu de la CEDEAO« .

S’appuyer sur le crédit diplomatique du Sénégal au sein de…

Sur ce, il estime que le Président Bassirou Diomaye Faye « devra nécessairement s’appuyer sur le crédit diplomatique du Sénégal au sein de l’ensemble ouest-africain mais aussi sur sa légitimité personnelle et son aura issu de sa fraîche élection de manière démocratique, ne souffrant d’aucun des griefs de délégitimation qui handicapent la crédibilité de certains donneurs de leçons de démocratie. Il incarne une exception démocratique dans une sous-région faisant face à une inflation de coups d’État. Ensuite, je pense que le Président Faye devra adopter une démarche inclusive et conciliante sachant que les pays de l’AES sont encore liés à l’ensemble sous-régional par plusieurs cadres de coopération comme l’UEMOA, l’OMVS pour le cadre spécifique du Mali. Donc, les ponts ne manquent pas. Il ne faut juste pas s’emmurer dans les procédures et les rigueurs protocolaires encore moins dans une attitude d’exclusion« .
Il reste convaincu que « l’expérience des médiations montre que le niveau d’appropriation de toute démarche, même en diplomatie, est toujours proportionnel à celui de son inclusivité. Je suis persuadé que la démarche agile qui colle à son caractère conciliant pourra lui permettre de prêter autant d’attention aux interactions qu’aux procédures. Les outils et les leviers dont dispose la diplomatie sénégalaise rompue aux rouages sous-régionaux et régionaux de même que la volonté affichée du Président Bassirou Diomaye Faye de concéder aux réformes nécessaires à la durabilité de la CEDEAO sont autant d’atouts pour des chances de réussite malgré toutes les difficultés auxquelles il faudra forcément s’attendre. Mais, il faudra veiller à ce que l’objectif d’immédiateté des résultats ne compromette pas les opportunités de gains diplomatiques progressifs et d’avancées intermédiaires. Pour cela, il ne faudra pas exclure de s’inscrire dans le temps long qui est souvent celui de la diplomatie sachant que même en l’absence de cadres formels de coopération, la nature historique des relations garantira le minimum de conditions pour générer constamment des espaces de confiance et de dialogue qui en définitive est une vertu africaine endogène« .
Se préparer à toutes éventualités…

« Maintenant, pour ne pas tomber dans un optimisme béat, il faut retenir qu’une fois enclenchés, les évolutions de certains processus socio-politiques et géopolitiques peuvent se révéler imprévisibles et incontrôlables par les acteurs qui les ont déclenchés« , prévient Dr Bakary Sambe.

Pour lui, « notre pays et la sous-région devront se préparer à toutes éventualités. On ne peut pas nier que le coup d’Etat au Niger et sa gestion continue d’être le catalyseur de bouleversements majeurs, de différents ordres, à l’échelle sous régionale et au-delà, dont les causes sous-jacentes étaient déjà en état de latence depuis le coup d’État au Mali. Il est triste de constater que les conséquences immédiates donnent à voir les prémices de la fragmentation de la CEDEAO, socle de l’unité et l’intégration sous régionales, dans toutes ses dimensions: politique, économiques, socio-culturelle et sécuritaire. Si ce départ annoncé de la CEDEAO de la part de ces trois pays frères se confirmaient, on assistera, pour le déplorer, à une auto-balkanisation de l’Afrique de l’Ouest, la sous-région qui avait, pourtant, atteint le niveau d’intégration le plus avancé sur le continent« .

« Or le salut de l’Afrique de l’Ouest comme du continent passe par plus d’unité et non plus de fragmentions, qu’elles soient en raison de causes endogènes ou exogènes. Mais, le ton et le contenu du Communiqué final du dernier Sommet d’Abuja montrent à suffisance que la CEDEAO semble avoir tiré les leçons du passé récent sur le fait que, stratégiquement, elle ne devrait plus, dans le cadre de mesures contre-productives et insensées, tomber dans le piège d’une mise en mal avec les populations de la région. Par-dessus tout, les Chefs d’État de la sous-région doivent prendre conscience du fait que quelle que soit la durée de la crise et des régimes dans ces pays, ce ne sera qu’une parenthèse critique dans le long cours de l’histoire commune entre les peuples. Le propre de toute crise est qu’elle est appelée à être dépassée quelle qu’en soit la durée. Cette crise passagère ne doit donc nullement compromettre ce qui tient ensemble les peuples de la région qui ont leur destin lié au-delà des cadres que peuvent être l’AES et même de la CEDEAO« , conclut Dr Bakary Sambe.

2 thoughts on “AES/CEDEAO : L’espoir est-il encore permis ? Dr Bakary Sambe parle des inconvénients d’une dislocation et prévient…

  1. Anonyme

    Il n’y a point de complémentarité économique entre les différents États de la CEDEAO.A quoi bon ou rime une intégration de palabre que de réelle développent intégré?La lutte contre le djihadisme a été le point faible du maintien des États de l’AES. Vous semblez oublier le leitmotiv de départ du renversement populaire de IBK qui a mis la junte malienne en selle : la Refondation du Mali qui se réfère à ce que le PR Modibo avait enclanché après l’accession à l’indépendance. C est du ROC solide pour prendre sa sécurité et son destin en mains. Penser pour nous mêmes et par nous mêmes, L’AES et la CEDEAO, ce sont deux chemins paralleles nbien distiincts pour construire notre propre devenir n est pas dans le but de la CEDEAO mais l’inféodation néocoloniale dans le développement et la continuité du sous-développements. Il faut aller au fond des choses et sortir du superficiel. L’AES et la CEDEAO sont deux identités bien distinctes et parallèles. Des axes de coopération possibles mais des voies totalement divergentes

    1. Badamagare

      Très bien vu. Il faut de la CEDEAO une réelle réforme en profondeur et à même de changer la perception qu’en ont les populations de la sous-région. Pareils changements demeureront des vœux pieux tant que certains chefs d’États membres de la CEDEAO resteront aux commandes. Tout comme le retour à la CEDEAO des États membres de l’AES serait peu envisageable avec les dirigeants actuels de l’Alliance.

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