Quand l’émigration irrégulière tue régulièrement : morts de désespoir

Le Prix Nobel d’économie 2015 Angus Deaton a co-publié un livre avec Anne Case en 2020, intitulé « Morts de désespoir : L’avenir du capitalisme » . Deaton est connu pour ses travaux sur la consommation, la pauvreté et la mesure du bien-être. Dans ce livre, les auteurs proposent une explication de la baisse surprenante de l’espérance de vie aux États-unis et la recrudescence des morts par suicide ou overdose (drogue).

Ils aboutissent à deux résultats :
– d’une part il y a 3 facteurs explicatifs : le coût élevé des services de santé, les effets pervers de la mondialisation et le manque d’emplois bien rémunérés pour les non-diplômés (qui ne peuvent pas payer des études chères).
– d’autre part, la solution n’est pas la redistribution des richesses à travers l’aide aux pauvres mais la lutte contre l’iniquité, l’injustice et les détournements.

Ces mêmes facteurs, et bien d’autres, peuvent être évoqués pour expliquer l’émigration irrégulière des jeunes sénégalais qui tentent de se rendre en Europe par des pirogues de fortune. Le dernier épisode date du 28 Février 2024, avec plus de 25 corps sans vie retrouvés pour le moment, sur un convoi de plus de 300 personnes.

La concurrence d’entreprises étrangères que subit le secteur privé sénégalais et la prépondérance des emplois informels combinée à la forte proportion de jeunes non diplômés, sont des facteurs à relever.
Il en est de même de l’inefficacité des politiques de redistribution comme les bourses de securité familiale tant qu’elles coexistent avec l’iniquité, l’injustice et les détournements.

Pourtant il y a quelques bonnes initiatives de promotion de l’emploi des jeunes mais en même temps, la politique est devenue un métier et un moyen d’enrichissement fast-track au Sénégal. Entre les jeunes qui se débrouillent pour trouver un emploi et les politiciens de métier, c’est un jeu à somme nulle; ce que gagnent les uns est exactement égal à ce que perdent les autres.
Je rappelais récemment que les jeunes ont le stress résidentiel, c’est-à-dire l’anxiété permanente qui habite un individu qui est sans opportunités d’emploi et sans moyens de financer un voyage à l’étranger. Les problèmes de gouvernance sont omniprésents avec l’absence de reddition des comptes sauf pour régler des comptes politiques; il faut y remédier dans les meilleurs délais.

A chacun la date qui le préoccupe ; pour certains c’est la date de l’élection présidentielle, pour d’autres c’est la date à laquelle ils vont sortir du Sénégal et tout cela dans les meilleurs délais.

Pr Abou KANE
FASEG/UCAD

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