Babacar Justin Ndiaye sur le référendum : «Le succès est au rendez-vous, mais pas le triomphe»

Au Sénégal, le passage du septennat au quinquennat est approuvé par 62% des votants, mais avec un taux de participation très faible, 38%. Pourquoi près des deux-tiers des Sénégalais ont-ils boudé le référendum constitutionnel de dimanche dernier ? L’analyste politique Babacar Justin Ndiaye est éditorialiste sur le site Dakaractu. En ligne de Dakar, il répond aux questions de RFI.

RFI : Le « oui » l’emporte largement, mais le taux de participation est très faible. Alors c’est un succès ou un échec pour le président Macky Sall ?

Babacar Justin Ndiaye : Disons que nous avons un « oui » suivi par un « non », escorté par une abstention. Le « oui » est en tête, donc le succès est au rendez-vous. Mais il ne s’agit pas d’un triomphe, encore moins d’un plébiscite. Le camp du « oui » a des motifs de satisfaction, mais je crois que cette abstention appelle une lecture très attentive de la part du camp du président Macky Sall, mais également une lecture de la part de tout le monde. Parce que cette atonie électorale est à l’encontre d’une certaine ferveur démocratique qu’on a toujours observée dans ce pays.

On sait que ce référendum n’aura pas d’effet immédiat. Si au contraire, le président Macky Sall avait annoncé que ce référendum aurait un effet immédiat est-ce que les gens auraient plus participé ?

On peut raisonner comme ça, dans la mesure où la réduction du mandat sous forme de promesse entre les deux tours était une attente de taille. Alors son effacement a effectivement bouleversé la donne de la réforme.

Oui, parce qu’en fait la promesse de réduction du mandat ne s’appliquera que pendant l’année 2024. C’est ça ?

Oui, effectivement. Le président Macky Sall garde son septennat. En 2019, s’il gagne bien entendu l’élection présidentielle, alors il restera dans son palais jusqu’en 2024. Donc vous voyez, l’horizon est tellement lointain qu’il n’enthousiasme pas en termes de soucis et de préoccupations.

Pour justifier le report de l’effet de ce référendum à 2024 le président affirme qu’il a l’obligation de se conformer à la dernière décision du Conseil constitutionnel.

Le débat a été vif, le débat a été intense. Mais ce que l’homme de la rue retient c’est que la volonté du président de la République ne pouvait pas être totalement bloquée par le Conseil constitutionnel. Ça, c’est le sentiment le plus partagé.

C’est-à-dire que beaucoup de Sénégalais pensent qu’il n’était pas obligé de se conformer à l’avis du Conseil constitutionnel ?

Profondément, oui.

Qu’est-ce qu’il aurait pu faire à la place ?

Les gens pensent que le peuple est la source du droit. Donc, lorsqu’il y a un imbroglio politicojudiciaire, alors il faut s’adresser au peuple.

Est-ce que beaucoup de Sénégalais pensent qu’il suffisait à Macky Sall de démissionner en 2017 ?

Tous les cas de figure ont été envisagés, y compris ce cas extrême. Mais comme c’était un casse-tête, alors le référendum était un vecteur de solution. Malheureusement, la non-rétroactivité a dérouté un tout petit peu l’opinion publique et par conséquent le référendum a un goût d’inachevé par rapport à la perspective qui était attendue et par rapport à l’attente postpromesse du président Macky Sall de 2012.

Parce qu’en 2012 le candidat Macky Sall avait promis qu’il remettrait son mandat en jeu en 2017 ?

Il l’avait dit, urbi et orbi. Il l’avait à l’intérieur des frontières, à l’extérieur des frontières, il l’avait répété. Et il a laissé passer quatre ans avant de traiter ce problème de la façon que l’on sait. Les gens ont eu le sentiment qu’il a joué avec ou sur les nerfs des Sénégalais. Alors ce long soupir des Sénégalais n’est pas étranger à l’abstention.

Est-ce que dans ce résultat mitigé il n’y a pas justement l’effet d’usure du pouvoir également ?

Oui ! A la différence d’Abdoulaye Wade qui avait organisé son référendum moins d’un an après son arrivée au pouvoir en 2001, le président Macky Sall a attendu quatre ans, quatre durant lesquels il a exercé le pouvoir. La crise a été un temps fort du début du mandat et jusqu’au moment où je vous parle les effets de la crise sont encore présents dans l’actualité de ce pays. Alors autant de péripéties qui ne sont pas du tout étrangères, encore une fois, à l’érosion de l’état de grâce. Ce qui explique que ce référendum enregistre un taux de participation très bas, le plus bas de tous les taux de participation enregistrés antérieurement.

Est-ce que l’affaire Lamine Diack, du nom de l’ancien président sénégalais de la Fédération internationale d’athlétisme a pu jouer un rôle dans ces résultats ?

Il n’est pas facile de pointer, de quantifier, de cerner ce rôle. Mais vous savez, le front du « non », notamment les éléments de la société civile qui ont été les plus en pointe dans ce « non », ont convoqué toutes les facettes de la mal-gouvernance. Certainement dans ces facettes de la mal-gouvernance on peut nicher l’affaire Diack.

Dans l’opposition, est-ce que le PDS d’Abdoulaye Wade est requinqué par ce résultat ?

A partir du moment où le camp du « oui » a gagné la bataille du référendum, il va sans dire que le PDS a pris un coup, comme tous les autres qui avaient invité à voter « non ». Cependant, je signale que dans le nord du Sénégal, dans la ville de Dagana, l’actuel coordonnateur du PDS, donc celui qui est l’intérimaire d’Abdoulaye Wade, a gagné la bataille du référendum dans la commune de Dagana. Donc du côté du PDS ce n’est pas le naufrage.

Au Parti socialiste, on était divisé. Dans le camp du « non », il y avait notamment le maire de Dakar Khalifa Sall. Aujourd’hui, c’est le « oui » qui l’emporte. Est-ce que du coup les ambitions de Khalifa Sall pour la présidentielle de 2019 sont contrariées ?

Dans une certaine mesure, son élan est brisé. L’élan du maire de Dakar est brisé. Du point de vue de la bataille à l’intérieur du Parti socialiste, il va sans dire que le clan Thanor a pris le dessus. Il va sans dire que les difficultés seront encore beaucoup plus élevées pour Khalifa Sall qui était pourtant sur une certaine lancée. Donc même si ce n’est pas un coup d’arrêt, il va sans dire que c’est un ralentissement qu’il est en train de vivre.

rfi.fr

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